vendredi 29 juin 2012

Reportage : Thé beau, tu sais ?

Les idées reçues ont la vie dure : les Bretons ont tous des chapeaux ronds, les Français se promènent tous avec une baguette de pain sous le bras, et les Vietnamiens boivent tous du thé. Les innombrables bouteilles de bière tombées au champ d'honneur des agapes amicales doivent se retourner dans leurs tombes…



Au cours des repas, ce sont plutôt la Bia Hà Nôi (bière de Hanoi) - la 333 - ou d'autres marques à mousse qui ont la préférence des gens d'ici. Ce qui entraîne le plus souvent une contagieuse gaieté bon enfant dans les repas d'affaire ou les dîners entre copains. Et comme le Vietnamien a le cœur sur la main, s'il voit dans la salle de restaurant quelqu'un qui ne manifeste pas cette bonne humeur, il s'empresse de la partager. Ce qui m'a valu de nombreuses embrassades au fumet malté. Et quand je dis "embrassades", le mot est exact : à chaque fois, je suis véritablement enlacé par deux bras aussi importuns qu'amicaux, ce qui n'est pas sans me troubler quand je suis absorbé par le contenu d'un bat bien rempli…

Cœur de thés…

Mais ceci ne veut pas dire que le thé est absent du quotidien vietnamien. Il a même régulièrement droit de cité, selon des statuts différents…

Il y a d'abord le thé populaire, qui a son heure de gloire à la fin des repas. Patient, il attend longtemps dans la bouteille hermétique ou la théière empaquetée dans un douillet nid de coton et d'osier. Là, dans son récipient gardé bien au chaud, il infuse tout en diffusant son arôme à une eau qui se teinte d'un vert pâle, couleur de ce thé justement prisé par le commun. Quand le dernier rot de bière expire, de minuscules tasses en céramique se remplissent d'un liquide tiède au goût tantôt amer, tantôt astringent que l'on flûte ou que l'on sirote, selon ! Parfois, un claquement bref de la langue sur le palais approuve la qualité de ce breuvage qui accompagne souvent la bouffée brûlante de la pipe à eau. Ce thé-là, nous en avons tous chez nous, petites feuilles séchées, enroulées dans les affres de la dessiccation, et entassées dans des pots à thé de collection ou de grandes surfaces. 



Il y a aussi le thé aristocratique que l'on déguste dans des salons en ville, dans de grandes occasions ou dans les goûters entre copines. Ce thé-là, il se la joue coquette. Parfumé au jasmin, au lotus, au gingembre, ou à toute autre plante aromatique, il a la fierté de sa condition. Pour lui, on sort le service, où des tasses décorées font la ronde autour de théières ventrues à la robe coordonnée. On le sert, ce qui est déjà un simulacre de rituel, en levant haut le bec de la théière pour que les quatre éléments se conjuguent en harmonie : l'air, l'eau, le feu et la terre. Je dois avouer que lorsque c'est à mon tour de m'exercer à cette figure de style, je rajoute un 5e élément : la serpillière… pour nettoyer tout ce que je mets à côté de la tasse.



Il existe enfin le thé artistique. Celui-ci est aux deux autres ce qu'est un ténor d'opéra pour un enroué chronique. On touche là, des sphères célestes… D'abord, il n'est consommé (pas bu !) qu'au cours de cérémonies… du thé ! Et là, c'est du sérieux : chaque geste est mûrement réfléchi, chaque seconde d'infusion est scrupuleusement comptée, la façon de verser, de prendre la tasse. Tout est codé en un ballet des sens qui conjugue fluidité et sérénité…

Fleur de thé…

Si, au Vietnam, on ne boit pas que du thé, le thé, lui, sait se faire boire ! Le thé, j'ai fait sa connaissance lors d'un voyage dans les montagnes du Nord. J'avais bien vu en photo ses longues allées plantées d'arbustes à petites feuilles, mais quand je me suis retrouvé au milieu d'un champ de thé qui ondulait à perte de vue au flanc de collines, je me suis senti ému par ce bonsaï courageux qui accepte de se faire raser les pousses régulièrement pour satisfaire la gourmandise humaine. Elles m'auraient presque fait de la peine, ces petites feuilles vertes tendres qui, à peine déployées au soleil du Vietnam, allaient finir dans la touffeur moite d'un sac en toile…



En me promenant dans ces rangées disciplinées, j'ai découvert la fleur de thé aux blancs pétales fragiles et au cœur jaune citron. J'ignorais, béotien que j'étais, que le thé pouvait fleurir, et j'ignorais tout de la suavité de son parfum alors. J'ai appris à manier cette énorme tondeuse qui remplace peu à peu la serpette des anciens cueilleurs de thé. Le thé, je l'ai entassé, ensaché, empaqueté, enfourché, mélangé, étalé…, et plus je lui ai fait subir les derniers outrages, plus j'ai appris à le respecter. Au point, un jour, d'avoir voulu fabriquer du thé au lotus de façon traditionnelle ! J'ai failli passer pour fou, mettre le feu à la maison, et être déconsidéré à jamais par mon épouse…

Mais ça, c'est une autre histoire que vous avez pu lire dans une tranche de vie bien antérieure. Si vous n'avez pas lu, passez chez moi, je vous raconterai, autour d'une tasse de thé !


GERARD BONNAFONT/CVN



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