jeudi 28 février 2013

Alexandre Yersin, le Vietnam se souvient

Ce 28 février 2013, voilà 70 ans que l'explorateur et médecin Alexandre Yersin décédait à Nha Trang, laissant presque orphelins les habitants de son village d'adoption. Retour sur le parcours hors du commun de ce Franco-suisse au Vietnam, plus connu en Asie qu'en Europe.

1935 : A.Yersin lors de la cérémonie de rebaptême du lycée de Dalat, qui portera désormais son nom.

Alexandre Yersin a beaucoup apporté à la région d'Asie du Sud-Est, et en particulier au Vietnam, où il a passé presque 50 ans de sa vie. C'est l'un des seuls étrangers au monde à avoir une rue à son nom à Hô Chi Minh-Ville, à Hanoi, à Nha Trang, et à Dalat.

Yersin est né en Suisse, en 1863. Poursuivant ses études médecine, il arrive en France en 1885, à l'Hôtel-Dieu de Paris. Là, il fait une des rencontres les plus importantes de sa vie en la personne d'Émile Roux, qui lui ouvre les portes de l'Institut Pasteur et avec qui il participe aux séances de vaccination contre la rage, et découvre, en 1886, la toxine diphtérique.

Mais le jeune homme a envie de voyager. Il part en Indochine française où il devient médecin des Messageries maritimes. Épris de ce pays, il réussit, en 1891, à obtenir des Messageries la permission d’explorer la région. De là, prendront naissance trois expéditions à travers la jungle d’Indochine, qui était, alors, l'une des terres les plus sauvages et dangereuses du monde. C'est lors de l'un de ces voyages qu'il tombe amoureux de Nha Trang, paisible village de pêcheur au Sud du Vietnam.

De la découverte du bacille de la peste à son retour à Nha Trang

1892 : Alexandre Yersin en tenue d'explorateur à Nha Trang.

En 1894, une épidémie de peste originaire de Mongolie atteint en la côte sud de la Chine et notamment Hong Kong. Le Gouvernement français ainsi que l’Institut Pasteur mandatent Yersin pour y étudier les raisons de l’épidémie. C'est là qu'il découvre le bacille de la peste, qui permettra, deux ans plus tard, de mettre au point un sérum anti-pesteux, et trois ans plus tard, un vaccin. Le mérite de Yersin ne sera officiellement reconnu qu'en 1970. Le «bacille de Yersin» fut d'ailleurs toujours le seul utilisé pour la préparation du vaccin contre la peste.

Mais rapidement, le trentenaire veut retourner à Nha Trang pour poursuivre ses recherches, et en fait la demande auprès de l'Institut Pasteur. Un choix qui peut sembler singulier car le village n'était nullement équipé en matériel scientifique. "Il avait besoin d'espace, d'aventure. Il aimait Livingstone, et était d'abord explorateur. Une des premières choses qu'il ait faites au Vietnam, c'est la création d'un laboratoire personnel à Nha Trang, en 1895, reconnu en 1904 Institut Pasteur", nous indique Nicolas Leymonerie, représentant du Vietnam de l'association Les Amis de Dalat .. sur les traces de Yersin.

De nombreuses actions au Vietnam

Dans son laboratoire, Yersin travaillait sur l'animal, et notamment le mouton, avec lequel il faisait des recherches contre la maladie du charbon. Par ailleurs, "il soignait souvent gratuitement, non seulement les animaux, aidant ainsi les agriculteurs locaux, mais aussi les pêcheurs et les enfants du village. Il avait toujours sur lui le sérum anti-pesteux, ce qui a permis d'aider à contrôler la peste en Indochine", ajoute Nicolas Leymonerie.

Tout ceci ayant un prix, Yersin se lance également dans la culture pour trouver les financements nécessaires. Ainsi, dès 1898, il s’intéresse à la culture d'hévéa, l'arbre à caoutchouc. Il réussit à l'introduire en 1899 et ses récoltes de latex sont achetées dès 1894 par Michelin, participant de fait au développement économique du pays. Cet arbre est encore à l’heure actuelle l'une des ressources du Vietnam.

Enfin, notre explorateur s'intéressait à tout et de manière générale à toutes les nouvelles technologies de l'époque. Selon Nicolas Leymonerie, "il était passionné de météorologie, et avertissait les pêcheurs de Nha Trang lorsqu'une tempête se préparait pour éviter qu'ils ne prennent la mer. C'était devenu une habitude. Le jour de la mort de Yersin, sans indications du scientifique, les pêcheurs sont restés à quai de peur du mauvais temps. C'était toutefois aussi une manière de lui rendre hommage, car il était très apprécié au village, et son décès soudain en 1943 a choqué tous ceux qu'il avait aidés".
Pourtant, à l'époque, le pays était en train de se battre pour récupérer son indépendance face aux Français. L'explorateur était en fait tellement apprécié qu'il faisait partie de la famille. "Aujourd'hui encore, près de sa tombe de Suoi Dau (à 18 km au Sud-Ouest de Nha Trang), de l'encens brûle toute l'année dans un pagodon en sa mémoire, comme un sain que l'on voudrait protéger, selon les croyances vietnamiennes.
Officiellement, il n'avait ni femme, ni enfants, sa famille c'était les pêcheurs et les enfants du village. À ces derniers, il montrait régulièrement les étoiles à travers son télescope, et même des films de Chaplin".

En 1902, Yersin participa à la fondation de l'École de médecine de Hanoi et en devint le directeur pendant quelques années. Et en 1904, l’Institut Pasteur de Paris lui donne la responsabilité de l'Institut Pasteur de Saïgon, fondé en 1890 par Albert Calmette.

Ses recherches contre les maladies animales ont fait venir de nombreux vétérinaires à Nha Trang, notamment Henri Jacotot. 

En 1935, Dà Lat décida de rebaptiser son lycée du nom de celui qui était à l'origine de la fondation de la ville. Car quelques années plus tôt, en 1893, lors de sa deuxième expédition, Yersin découvrit les hauts plateaux du Sud du Vietnam. C'est l'endroit qu'il proposera à Paul Doumer, gouverneur de l'Indochine, pour permettre aux fonctionnaires français de se reposer du climat tropical et de profiter des conditions météorologiques agréables durant la période estivale. Dalat fut ainsi crée. Un sanatorium y sera installé. Ce lieu est devenu par la suite une école normale, et a perdu le nom de Yersin.

L'explorateur était surnommé "Monsieur Nam". "Selon la version vietnamienne, ce surnom, signifiant monsieur cinq en français, venait du statut que Yersin avait au sein de Nha Trang : il était considéré comme le 5e membre de la famille. Toutefois, selon les biographies officielles, ce surnom viendrait de ses cinq galons de colonel, lorsqu'il était militaire. Je ne sais pas laquelle est vraie ".

Un nom resté dans la mémoire du pays

Aujourd'hui, l'Institut Pasteur de Nha Trang, fondé par Yersin est un laboratoire de microbiologie, virologie et épidémiologie.

Pour rendre hommage au savant, la ville a décidé en 2003 de restaurer son ancienne résidence. Plus exactement, celle-ci a été rebâtie sur son ancien emplacement pour en faire un musée. Elle se trouve au sein même de l'Institut Pasteur. En août 2012, Nha Trang a érigé un grand buste de l'explorateur, "Bienfaiteur et humaniste, vénéré par le peuple vietnamien".

En 2006, la ville de Dà Lat a inauguré son Université Yersin. Un établissement spécialisé dans l'économie, la gestion, le tourisme, l'informatique, l'architecture, et le médico-social. De même, à Hanoi, le lycée français porte également le nom du médecin.

En août dernier, l'écrivain français Patrick Deville a sorti le biographie romancée de Yersin "Peste et Choléra", ouvrage récompensé par le prix Fémina en novembre 2012. Il sera traduit en vietnamien dans les mois à venir. "J'avais déjà mentionné son nom dans un livre précédent. Mais il en méritait un à lui tout seul. Il a eu une vie magnifique. C'est un roman sans fiction. Tout est vrai. J'ai fait de nombreuses recherches, notamment à Nha Trang et Dà Lat", nous a commenté l'auteur, venu à Hanoi pour la promotion de son livre il y a quelques jours. À l'Espace français comme à la librairie française, les Vietnamiens étaient très nombreux à vouloir une dédicace de l'écrivain.

Ce premier week-end de mars, à l'occasion du 70e anniversaire de la mort de Yersin, l'association Les Amis de Dà Lat .. sur les traces de Yersin, en partenariat avec l'Organisation internationale de la francophonie, organise un circuit à Dà Lat et Nha Trang. Une conférence sera donnée à l'Université Yersin sur le thème "Un francophone à l'origine de Dà Lat", et des collégiens de Dà Lat joueront une pièce en français. Toutes ces actions rentrent dans le cadre de l'année France-Vietnam 2013.

Nicolas Leymonerie étant, professionnellement, spécialisé dans les jeux vidéos, il a, notons le, crée une application numérique à destination des enfants, avec un quiz sur la vie de Yersin. Il a été aidé de la famille de l'explorateur.

Eloïse Levesque/CVN



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