dimanche 11 novembre 2012

Message : Nostalgie de Hanoi

L’écrivain François Lelord invite à la flânerie dans le Hanoi passé et présent.



L’amour pour une ville peut ressembler à l’amour pour une femme, c’est ce que m’a appris Hanoi. Oui, l’amour avec ses espérances, ses instants de félicité, ses désillusions et bien sûr toujours sa nostalgie, c’est bien celui que je vis pour Hanoi. Jamais ne s’effacera pour moi l’émotion de la première découverte :  les rues s’allongeant sous un plafond de feuillage, à travers lesquelles j’entrevoyais d’antiques façades, vestiges de plusieurs empires, l’aisance des habitantes sur leurs bicyclettes, les grand-mères qui pédalaient avec une grâce de jeune fille, et ce désordre débordant de vie du trottoir hanoïen, à la fois marché à ciel ouvert, restaurant en plein air, salon pour la famille, parking a mobylettes, atelier de réparation, espace de jeu pour les petits enfants qui m’adressaient de vigoureux "hellos" en m’apercevant dans mon taxi.

La ville des arbres. Je découvris Hanoi à l’époque où une épidémie la menaçait, les touristes s’étaient enfuis, et la ville, sous son apparence alors sommeillante, vous assaillait avec encore plus de charme, comme une belle endormie qui n’a besoin que d’un battement de ses cils pour vous séduire.

D’abord avec ses arbres.  Hanoi est la ville des arbres, qui sont comme le deuxième peuple de cette cité,  des citoyens très utiles qui fournissent leur ombre et le murmure de leurs feuilles, si nécessaires à la rêverie, cet opium du promeneur hanoïen.

À chaque retour je me sens coupable de connaître si peu des noms de ces verts compagnons, avec la difficulté que souvent mes interlocuteurs n’en connaissent qu’une sorte, le vietnamien ou le français, et rarement les deux en même temps. Et donc j’arrive à peine à égrener pancovier, badamier, tamarinier, flamboyant, hibiscus, mais tant d’autres que j’oublie…

Aujourd’hui, à l’heure où les immeubles poussent dans la ville comme une nouvelle forêt, progrès oblige, je souhaite aux Hanoïens de préserver leurs arbres mieux que nous l’avons fait  à l’époque où nous pensions, nous aussi, que le bonheur était en haut des tours.

Ensuite ses lacs. Le lac est comme le contrepoint de la ville, presque sa négation. Autour de lui, des  générations de bâtiments s’élèvent et disparaissent, des foules d’habitants se succèdent, même les arbres changent, mais le lac demeure immobile, il est le miroir du mouvement de la ville, mais la surface de ses eaux reste immuable. Quand nous le contemplons, il nous rappelle aussi que nous passerons.

L’heure de l’après-midi où le lac Hoan Kiem se teinte d’or, une de ses rives encore éclairée par le soleil , l’autre déjà dans l’ombre, est pour moi un des instants magiques de Hanoi, peut-être parce que  je suis arrivé à ce point de la vie où la lumière devient plus belle en même temps qu’on devine l’approche de la nuit.

On parle souvent des rues de Hanoï, mais Hanoï est aussi la ville des passages et des ruelles. J’habitais près du lac une maison qui s’élevait dans un de ces étroits défilés qui serpentent entre les grandes artères. Plein de détours, s’élargissant soudain en petite place qui devenait restaurant de rue à l’heure du déjeuner, et où les jeunes employées des banques voisines venaient manier les baguettes à l’ombre d’un grand flamboyant. Leurs uniformes d’employés  à la mode occidentale ne parvenaient pas ôter à cette scène son caractère ancestral. Quelques pas de plus dans le passage, et une pagode vermoulue accueillaient les visiteurs en mal de sérénité. Les jours de pluie, l’odeur de l’encens montait avec celui de la terre mouillée. En même temps que parfois les chants révolutionnaires de l’association de vétérans qui se réunissait à l’étage de la maison d’en face, et à leurs têtes blanches et leur démarche hésitante, je devinais que beaucoup avaient connu un autre Hanoi, et que certains parlaient peut-être ma langue.



Nostalgie vraiment ?

Bien sûr, il faut  aussi parler des moments difficiles de Hanoi : ces longues semaines où le ciel gris et la chaleur semblent s’unir pour vous étouffer, les embarras de la circulation avec ces passages pour piétons où l’on se sent comme une cible mouvante, les visage parfois fermés de certains de ses habitants, dont on se console vite en s’apercevant qu’ils peuvent se renfrogner encore plus face à leurs propres compatriotes. Mais je me souviens que les étrangers du monde entier font le même reproche aux Français, celui de ne pas toujours se montrer accueillant au premier abord, peut-être parce que placés comme vous à l’extrémité d’un continent, nous gardons dans notre inconscient le souvenir de tant d’envahisseurs.

Mais dans un ciel changeant, les moments d’irritation ou de lassitude ne sont que de brèves perturbations, quand le climat général est celui de l’amour.

Enfin les murs de Hanoi, lavés de pluie, écaillés, fatigués de vent et d’orages, avec leur magnifiques tons d’ocre ou de gris, (si différents des pastels bleus ou rose de Saigon) accumulant avec les années traînées, marques, rides, qui les rendent tous aussi variés et  différents que des visages, visibles dans toute la ville comme les milliers de tableaux d’une école de peinture qu’on pourrait qualifier de météorologique.

Nostalgie de Hanoi, mais pourquoi au fond, puisque je reviens toujours dans cette ville, et la  nostalgie ne s’éprouve que pour ce qu’on a quitté sans retour ?
Peut-être parce que chaque instant de Hanoi vous donne, plus souvent qu’ailleurs, l’impression de s’envoler vers le passé et que jamais vous ne le retrouverez , comme un nuage enfui le long du fleuve, comme une belle passante entrevue filant  sur sa motocyclette, comme  le parfum des feuilles après la pluie.

Telle est ma nostalgie de Hanoi.

Texte : François Lelord , Photos : Nicolas Cornet


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