Il était une fois deux amis qui suivaient des cours chez un même vieux lettré du village. Ils étaient inséparables malgré leur différence de caractère. L’un, Luu Binh, était studieux, travailleur, d’un caractère profond. L’autre, Duong Lê, aimait surtout rire, s’amuser, et négligeait les leçons qu’il considérait comme une vraie corvée. Malgré les remontrances du vieux maître et les conseils de son ami, Duong Lê refusait de travailler sérieusement.
Ce qui devait arriver arriva. Aux concours impériaux, Luu Binh fut reçu et nommé sur-le-champ mandarin dans une région située à plusieurs milles du village. Duong Lê échoua et abandonna définitivement les études. Les deux amis restèrent sans nouvelles l’un de l’autre pendant quelques années. Puis un jour, Luu Binh vit arriver dans son palais une sorte de clochard misérable. C’était son ami Duong Lê qui venait demander de l’aide.
Mais Luu Binh le fit chasser sans ménagement, le traitant de fainéant, de paresseux, et de bon à rien. Humilié, rouge de colère, Duong Lê quitta le palais en jurant de se venger de l’homme qu’il avait cru , jusqu’à présent, être son meilleur ami.
Plein de rage, il entra dans une auberge et se mit à boire.
Une jeune femme, belle et distinguée, entra dans l’auberge juste à ce moment-là. Remarquant Duong Lê en train de boire plus que de raison, elle s’approcha de lui et dit :
- Je vois que vous avez une grosse peine. Racontez-moi votre histoire et je pourrais peut-être vous aider.
La douceur de cette jeune femme inspira confiance à Duong Lê qui se mit à lui raconter ce qui venait de se passer, ainsi que son farouche désir de vengeance. A son grand étonnement, Duong Lê se vit offrir une curieuse proposition :
- Je m’appelle Châu Long. J’habite seule dans une grande maison non loin d’ici, dit la jeune femme. J’ai beaucoup de biens et je peux vous aider à réaliser votre vengeance. A une condition, vous allez travailler dur pour réussir aux prochains concours impériaux et devenir un mandarin d’un rang plus élevé que celui de votre ennemi. Ce sera votre vengeance.
Duong Lê accepta la proposition et suivit la jeune femme dans sa villa. A partir de ce jour, il travailla jour et nuit, apprenant, révisant sans cesse, tandis que Châu Long était aux petits soins pour lui.
Après trois ans de dur labeur, le jour du triomphe arriva. Duong Lê fut le premier lauréat des grands concours impériaux et nommé gouverneur d’une grande province.
De retour à la maison, Duong Lê dit à Châu Long :
- J’irai demain au palais de mon ennemi et je serai curieux de voir sa réaction. J’aurai enfin ma vengeance.
Châu Long dit :
- Puisque tu ne seras pas là demain, permets-moi d’aller, dès ce soir, rendre visite à une amie. Je resterai, ensuite, quelques jours avec elle car nous ne nous sommes pas vues depuis fort longtemps.
Duong Lê acquiesça à son désir, et aussitôt Châu Long se prépara à partir.
Le lendemain Duong Lê se rendit au palais de son pire ennemi. Cette fois il fut reçu avec un immense respect et avec toute les honneur dus à son rang. Mais quelle ne fut sa surprise quand il vit Châu Long, elle-même, leur apporter le plateau de thé. Luu Binh regarda son ami et dit en souriant :
- Je crois que vous connaissez Châu Long. C’est ma troisième femme !
Aussitôt Duong Lê comprit toute l’histoire. Il tomba à genoux devant son ami et dit :
- Pardon de t’avoir haï pendant toutes ces années. Tu avais envoyé Châu Long pour me sauver de ma déchéance. Tu as fait de moi ce que je suis aujourd’hui. Tu es le meilleur ami qui puisse exister. Je te serai éternellement reconnaissant.
Luu Binh releva son ami, puis les deux hommes éclatèrent de rire, sous le regard ravi de Châu Long.
Luu Binh donna alors l’ordre aux domestiques de préparer un grand festin pour fêter ses retrouvailles et pour fêter le triomphe de l’amitié.
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